Adolfo Kaminsky - 1946
Ecouter la version chantée Composée et interprétée par Marc Robine (texte bleu) - Diffusé par DEEZER - |
Ecouter la version chantée par Jacques Douai (texte restant) Composition : T.Vial - Diffusé par DEEZER - |
Francis Carco (1886-1958)
Ton ombre
Quand je t'attendais, dans ce bar,
La nuit, parmi des buveurs ivres
Qui ricanaient pour avoir l'air de rire,
Il me semblait que tu arrivais tard
Et que quelqu'un te suivait dans la rue.
Je te voyais te retourner avant d'entrer.
Tu avais peur. Tu refermais la porte.
Et ton ombre restait dehors:
C'était elle qui te suivait.
Ton ombre est toujours dans la rue
Près du bar où je t'ai si souvent attendue,
Mais tu es morte
Et ton ombre, depuis, est toujours à la porte.
Quand je m'en vais, c'est à présent moi qu'elle suit
Craintivement, comme une bête.
Si je m'arrête, elle s'arrête.
Si je lui parle, elle s'enfuit.
Ton ombre est couleur de la pluie,
De mes regrets, du temps qui passe.
Elle disparaît et s'efface
Mais envahit tout, à la nuit.
Sous le métro de la Chapelle
Dans ce quartier pauvre et bruyant,
Elle m'attend, derrière les piliers noirs,
Où d'autres ombres fraternelles
Font aux passants, qu'elles appellent,
De grands gestes de désespoir.
Mais les passants ne se retournent pas.
Aucun n'a jamais su pourquoi,
Dans le vent qui fait clignoter les réverbères,
Dans le vent froid, tant de mystère
Soudain se ferme sur ses pas...
Et moi qui cherche où tu peux être,
Moi qui sais que tu m'attends là,
Je passe sans te reconnaître.
Je vais et je viens, toute la nuit,
Je marche seul, comme autrefois,
Et ton ombre, couleur de pluie,
Que le vent chasse à chaque pas,
Ton ombre se perd dans la nuit
Mais je la sens tout près de moi...
Tu n'étais qu'une fille des rues,
Qu'une innocente prostituée,
Dans le quartier de Whitechapel,
La nuit que je t'ai rencontrée.
Tu étais lasse et triste, comme les filles de Londres,
Tes cheveux conservaient une odeur de brouillard
Et, lorsqu'ils te voyaient à la porte des bars,
Les dockers ivres t'insultaient
Ou t'escortaient dans la rue sombre.
Ce n'est pas toi, ce n'est pas toi,
C'est tout ce que tu me rappelles:
Comme j'étais triste, avant de te connaître,
Où me portaient mes pas, c'était la même histoire.
J'allais toujours vers les sifflets des trains,
Sur un grand boulevard trouble et peuplé de fantômes.
Là j'attendais je ne sais qui, je ne sais quoi,
Mais les trains passaient en hurlant,
Et cette attente avait l'air d'un départ.
La ronde des ombres de la nuit
Tourne infatigablement
Avec ses voyous et ses filles,
Ces marlous aux chandails humides
Et le vent qui chasse la pluie,
Les globes des hôtels meublés,
Ces bars où grincent les fenaux,
Me jetant quelquefois, par la porte,
Comme l'appel d'une voix morte...
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