Ecouter sur DEEZER Interprète : Arnaud Marzorati |
Pierre-Jean de Béranger - (1780-1857)
Laideur et beauté
Sa trop grande beauté m'obsède;
C'est un masque aisément trompeur.
Oui, je voudrais qu'elle fût laide,
Mais laide, laide à faire peur.
Belle ainsi, faut-il que je l'aime!
Dieu, reprends ce don éclatant!
Je le demande à l'enfer même :
Qu'elle soit laide et que je l'aime autant.
A ces mots m'apparaît le diable,
C'est le père de la laideur.
« Rendons-la, dit-il, effroyable,
« De tes rivaux trompons l’ardeur.
« J’aime assez ces métamorphoses.
« Ta belle ici vient en chantant :
« Perles, tombez ; fanez-vous, roses.
« La voilà laide et tu l’aimes autant. »
Laide! moi! dit-elle étonnée;
Elle s'approche d'un miroir,
Doute d'abord, puis, consternée,
Tombe en un morne désespoir.
« Pour moi seul tu jurais de vivre,
« Lui dis-je, à ses pieds me jetant :
« À mon seul amour il te livre.
« Plus laide encor, je t’aimerais autant. »
Ses yeux éteints fondent en larmes,
Alors sa douleur m'attendrit :
« Ah! rendez, rendez-lui ses charmes! »
Soit, répond Satan qui sourit.
Ainsi que naît la fraîche aurore,
Sa beauté renaît à l'instant.
Elle est, je crois, plus belle encore;
Elle est plus belle et moi je l'aime autant.
Vite, au miroir elle s'assure
Qu'on lui rend bien tous ses appas;
Des pleurs restent sur sa figure
Qu'elle essuie en grondant tout bas.
Satan s'envole et la cruelle
Fuit et s'écrie en me quittant :
«Jamais fille que Dieu fit belle
«Ne doit aimer qui peut l'aimer autant.»
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