Gaston Couté - (1880-1911)
La chanson des fusils
Nous étions fiers d'avoir vingt ans
Pour offrir aux glèbes augustes
La foi de nos cœurs éclatants
Et l'ardeur de nos bras robustes;
Mais voilà qu'on nous fait quitter
Notre clair sillon de bonté
Pour nous mettre en ces enclos ternes
Que l'on appelle des "casernes":
En nos mains de semeurs de blé
Dont on voyait hier voler
Les gestes d'amour sur la plaine,
En nos mains de semeurs de blé
On a mis des outils de haine...
O fusils qu'on nous mit en mains,
Fusils, qui tuerez-vous demain?
Notre front qui ne s'est baissé
Encor que par devant la terre
Bouge, en sentant, sur lui peser
La discipline militaire;
Mais s'il bouge trop, notre front!
Combien d'entre nous tomberont
Par un matin de fusillade
Sous les balles des camarades?
Nos yeux regardent sans courroux
Les gâs dont les tendresses neuves
S'essaiment en gais rendez-vous
Là-bas, sur l'autre bord du fleuve;
Mais un jour de soleil sanglant
Ah! combien de pauvres galants
Ayant un cœur pareil au nôtre
Coucherons-nous dans les épeautres?...
Nous trinquons dans les vieux faubourgs
Avec nos frères des usines:
Mais si la grève éclate un jour
Il faudra qu'on les assassine!
Hélas! combien les travailleurs
Auront-ils à compter des leurs
Sur les pavés rougis des villes
Après nos charges imbéciles?...
Mais, en nos âmes de vingt ans,
Gronde une révolte unanime:
Nous ne voulons pas plus longtemps
Être des tâcherons du crime!
Pourtant , s'il faut encore avant
De jeter nos armes au vent
Lâcher leur décharge terrible,
Nous avons fait choix de nos cibles:
En nos mains de semeurs de blé
Dont on voyait hier voler
Les gestes d'amour sur la plaine,
En nos mains de semeurs de blé
Puisqu'on vous tient, fusils de haine!...
Tuez! s'il faut tuer demain,
Ceux qui vous ont mis en nos mains!...
Ecouter la version chantée par Christian Deschamps - Diffusée par gastoncoute.free.fr - |