1690 Poésies chantées dans la langue de Molière De Charles d'Orléans à Serge Gainsbourg Tous les textes sont accompagnés d'un enregistrement musical
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Interprétation de Susan Graham
Composition de Reynaldo Hahn
Théodore de Banville - (1823-1891)
Rondels
L'automne
Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil,
Embrase le coteau vermeil
Que la vigne pare et festonne.
Père, tu rempliras la tonne
Qui nous verse le doux sommeil ;
Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil.
Déjà la Nymphe qui s’étonne,
Blanche de la nuque à l’orteil,
Rit aux chants ivres de soleil
Que le gai vendangeur entonne.
Sois le bienvenu, rouge Automne.
Nous étions au nombre de mille,
Venus d’Italie et d’ailleurs,
Garibaldi, dans la Sicile,
Nous conduisait en tirailleurs :
J’étais un jour seul dans la plaine
Quand je trouve en face de moi
Un soldat de vingt ans à peine
Qui portait les couleurs du roi.
Je vois son fusil se rabattre :
C’était son droit ; j’arme le mien,
Il fait quatre pas, j’en fais quatre,
Il vise mal, je vise bien.
Ah ! Que maudite soit la guerre
Qui fait faire de ces coups-là ;
Qu’on verse dans mon verre
Le vin de Marsala !
Il fit demi-tour sur lui-même.
Pourquoi diable m’a-t-il raté ?
Pauvre garçon ! il était blême ;
Vers lui je me précipitai.
Ah ! je ne chantais pas victoire,
Mais je lui demandai pardon.
Il avait soif, je le fis boire,
D’un trait il vida mon bidon.
Puis je l’appuyai contre un arbre
Et j’essuyai son front glacé :
Son front sentait déjà le marbre.
S’il pouvait n’être que blessé !
Je voulus panser sa blessure,
J’ouvris son uniforme blanc ;
La balle, sans éclaboussure,
Avait passé du coeur au flanc.
Entre le drap et la chemise,
Je vis le portrait en couleurs
D’une femme vieille et bien mise
Qui souriait avec douceur.
Depuis, j’ai vécu Dieu sait comme,
Mais tant que cela doit durer,
Je verrai mourir le jeune homme
Et la bonne dame pleurer.
Ah ! Que maudite soit la guerre
Qui fait faire de ces coups-là !
Qu’on emporte mon verre !
C’était à Marsala.
Ecouter sur DEEZER
Interprétation : Saga de Ragnar Lodbrock
Composition : François Proust
Charles d'Orléans - (1391-1463)
En regardant vers le pays de France
En regardant vers le païs de France,
Un jour m’avint, a Dovre sur la mer,
Qu’il me souvint de la doulce plaisance
Que je souloye oudit pays trouver ;
Si commençay de cueur a souspirer,
Combien certes que grant bien me faisoit
De voir France que mon cueur amer doit.
Je m’avisay que c’estoit non savance
De telz souspirs dedens mon cueur garder,
Veu que je voy que la voye commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner ;
Pour ce, tournay en confort mon penser.
ais non pourtant mon cueur ne se lassoit
De voir France que mon cueur amer doit.
Alors chargay en la nef d’Esperance
Tous mes souhaitz, en leur priant d’aler
Oultre la mer, sans faire demourance,
Et a France de me recommander.
Or nous doint Dieu bonne paix sans tarder !
Adonc auray loisir, mais qu’ainsi soit,
De voir France que mon cueur amer doit.
ENVOI
Paix est tresor qu’on ne peut trop loer.
Je hé guerre, point ne la doy prisier ;
Destourbé m’a longtemps, soit tort ou droit,
De voir France que mon cueur amer doit.
Ecouter sur DEEZER
Interprétation : Georges Thill
Composition : Charles Gounod
Jean-Antoine de Baïf - (1532-1589)
Ô ma belle rebelle
Ô ma belle rebelle,
Las, que tu m’es cruelle !
Ou quand d’un doux souris,
Larron de mes espris,
Ou quand d’une parolle
Mignardetement molle,
Ou quand d’un regard d’yeux
Fierement gracieux,
Ou quand d’un petit geste
Tout divin, tout celeste,
En amoureuse ardeur
Tu plonges tout mon coeur.
O ma belle rebelle,
Las, que tu m’es cruelle !
Quand la cuisante ardeur,
Qui me brusle le coeur,
Fait que je te demande
A sa bruslure grande
Un rafraichissement
D’un baiser seulement.
O ma belle rebelle
Las, que tu m’es cruelle !
Quand d’un petit baiser
Tu ne veux m’apaiser,
Mais par tes fines ruses
Tousjours tu m’en refuses,
Au lieu d’allegement
Acroissant mon tourment.
Me puissé-je un jour, dure,
Vanger de ton injure :
Mon petit maistre Amour
Te puisse outrer un jour,
Et pour moy langoureuse
Il te face amoureuse,
Comme il m’a langoureux
Pour toy fait amoureux.
Alors par ma vangeance
Tu auras conoissance
Quel mal fait du baiser
Un amant refuser.
Et si je te le donne,
Ma farouche mignonne,
Quand plus fort le desir
S’en viendroit te saisir,
Lors, après ma vangeance,
Tu auras conoissance
Quel bien c’est, du baiser
L’amant ne refuser.
Ecouter sur DEEZER
Chanté par Les Frères Jacques
Musique de Maurice Thiriet
Raymond Queneau (1903-1976)
Ballade en proverbes du vieux temps
Il faut de tout pour faire un monde
Il faut des vieillards tremblotants
Il faut des milliards de secondes
Il faut chaque chose en son temps
En mars il y a le printemps
Il est un mois où l'on moissonne
Il est un jour au bout de l'an
L'hiver arrive après l'automne
La pierre qui roule est sans mousse
Béliers tondus gèlent au vent
Entre les pavés l'herbe pousse
Que voilà de désagréments
Chaque arbre vêt son linceul blanc
Le soleil se traîne tout jaune
C'est la neige après le beau temps
L'hiver arrive après l'automne
Quand on est vieux on n'est plus jeune
On finit par perdre ses dents
Après avoir mangé on jeûne
Personne n'est jamais content
On regrette ses jouets d'enfant
On râle après le téléphone
On pleure comme un caïman
L'hiver arrive après l'automne
ENVOI
Prince ! tout ça c'est le chiendent
C'est encore pis si tu raisonnes
La mort t'a toujours au tournant
L'hiver arrive après l'automne
Ecouter sur DEEZER
Composition : Paul Leclerc
Interprétation : Julien Clerc
Ecouter sur YOUTUBE
Composition : Paul Leclerc
Interprétation : Benjamin Biolay
Marceline Desbordes-Valmore - (1786-1859)
N'écris pas
N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas !
N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
N'écris pas !
N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas !
N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu’un baiser les empreint sur mon coeur.
N’écris pas !
Ecouter sur DEEZER
Interprété par Germaine Montero
Musique de Marceau Verschueren
Pierre Mac Orlan (1882-1970)
La chanson de Margaret
C'est rue de la Crique que j'ai fait mes classes
Au Havre dans un star tenu par Chloé
C'est à Tampico au fond d'une impasse
J'ai trouvé un sens à ma destinée
On dit que l'argent c'est bien inodore
Le pétrole est là pour vous démentir
Car à Tampico quand ça s'évapore
Le passé revient qui vous fait vomir
Oui j'ai laissé là mes joues innocentes
Oui à Tampico je me suis défleurie
Je n'étais alors qu'une adolescente
Beaucoup trop sensible à des tas de profits
Les combinaisons ne sont pas toujours bonnes
Comme une vraie souris j'ai fait des dollars
Dans ce sale pays où l'air empoisonne
La marijuana vous fout le cafard
On m'encourageait j'en voyais de drôles
Je vidais mon verre en fermant les yeux
Quand j'avais fait le plein je voyais le pactole
Et les connaisseurs trouvaient ça curieux
Une fille de vingt ans c'est pour la romance
Et mes agréments semblaient éternels
Mais par-ci par-là quelques dissonances
En ont mis un coup dans mon arc-en-ciel
C'est là que j'ai laissé derrière les bouteilles
Le très petit lot de mes petites vertus
Un damné matelot qui n'aimait que l'oseille
M'en a tant fait voir que je me reconnais plus
Oui, il m'a fait voir le ciel du Mexique
Et m'a balancée par un beau printemps
Parmi les cactus dans le décor classique
Où le soleil vous tue comme à bout portant
Un coq shangaïais un soir de folie
A pris mon avenir de même qu'un cadeau
Il m'a dit "petite il faut qu'on se marie
Tu seras la fleur d'un joli bistrot"
De tels boniments démolissent une femme
Je voyais déjà derrière mon comptoir
Les flics de couleur me disaient "Madame"
Bref je gambergeais du matin au soir
Mon Dieu ramenez-moi dans ma belle enfance
Quartier Saint François au bassin du roi
Mon Dieu rendez-moi un peu d'innocence
Et l'odeur des quais quand il faisait froid
Faites-moi revoir les neiges exquises
La pluie sur Sanvic qui luit sur les toits
La ronde des gosses autour de l'église
Mon premier baiser sur les chevaux de bois
Ecouter sur DEEZER
Composé et interprété
par Georges Chelon
Charles Baudelaire (1821-1867)
Le tonneau de la Haine
La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes ;
La Vengeance éperdue aux bras rouges et forts
A beau précipiter dans ses ténèbres vides
De grands seaux pleins du sang et des larmes des morts,
Le Démon fait des trous secrets à ces abîmes,
Par où fuiraient mille ans de sueurs et d’efforts,
Quand même elle saurait ranimer ses victimes,
Et pour les pressurer ressusciter leurs corps.
La Haine est un ivrogne au fond d’une taverne,
Qui sent toujours la soif naître de la liqueur
Et se multiplier comme l’hydre de Lerne.
Mais les buveurs heureux connaissent leur vainqueur,
Et la Haine est vouée à ce sort lamentable
De ne pouvoir jamais s’endormir sous la table.
Ecouter sur DEEZER
Composé et interprété
par Léo Ferré
Léo Ferré (1916-1993)
Merci mon Dieu
De nos tanières de draps blancs,
De nos grabats mangés aux rêves,
De notre pain de temps en temps
Et de nos miettes marche ou crève,
Avec la vie au beau milieu,
Et puis la faim qui nous soulève,
Nous te disons: "Merci mon Dieu!"
De nos salaires raccourcis
Et qui rallongent notre gêne,
De l'or qui pousse aux quatre jeudis,
De nos éternelles semaines
Avec la rage au beau milieu,
Et puis l'envie qui nous malmène,
Nous te disons: "Merci mon Dieu!"
De notre terre à ciel perdu,
De nos fusils à cicatrices,
De nos enfants qui n'ont pas pu
Éloigner d'eux l'amer calice
Avec la guerre au beau milieu
Et puis le héros qui s'y glisse,
Nous te disons: "Merci mon Dieu!"
Des chevaux d'avoine posthume
Qui traînent leur dernier convoi,
Des chiens perdus que l'on transhume
Vers leur dernier pipi de croix
Avec la mort au beau milieu,
Et la pitié qui nous consume,
Nous te disons: "Merci mon Dieu!"
De cette croix du Golgotha
Qui crucifie tant de poitrines,
Et de ton fils qui n'a fait ça
Que pour la peau et les épines
Avec l'amour au beau milieu,
Et puis ton ciel qu'on imagine,
Nous te disons: "Pourquoi mon Dieu!"
Ecouter sur DEEZER
Composé et interprété
par Leo Ferré
Charles Baudelaire - (1821-1867)
Les Fleurs du Mal
Le flacon
Il est de forts parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu de l’Orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant,
Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D’où jaillit toute vive une âme qui revient.
Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres,
Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres,
Qui dégagent leur aile et prennent leur essor,
Teintés d’azur, glacés de rose, lamés d’or.
Voilà le souvenir enivrant qui voltige
Dans l’air troublé ; les yeux se ferment ; le Vertige
Saisit l’âme vaincue et la pousse à deux mains
Vers un gouffre obscurci de miasmes humains ;
Il la terrasse au bord d’un gouffre séculaire,
Où, Lazare odorant déchirant son suaire,
Se meut dans son réveil le cadavre spectral
D’un vieil amour ranci, charmant et sépulcral.
Ainsi, quand je serai perdu dans la mémoire
Des hommes, dans le coin d’une sinistre armoire
Quand on m’aura jeté, vieux flacon désolé,
Décrépit, poudreux, sale, abject, visqueux, fêlé,
Je serai ton cercueil, aimable pestilence !
Le témoin de ta force et de ta virulence,
Cher poison préparé par les anges ! Liqueur
Qui me ronge, ô la vie et la mort de mon cœur !
Ecouter sur DEEZER
Interprétation : Marc Robine
Composition : Harold Berg
Boris Vian (1920-1959)
Le déserteur
Avant censures diverses
Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer de pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter
Depuis que je suis né
J'ai vu mourir mon père
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Qu'elle est dedans la tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j'étais prisonnier
On m'a volé ma femme
On m'a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J'irai sur les chemins
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens:
Refusez d'obéir
Refusez de la faire
N'allez pas à la guerre
Refusez de partir
S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que j'emporte des armes
Et que je sais tirer
Version Mouloudji :
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer
Ecouter sur DEEZER
Composé et interprété
par Georges Chelon
Charles Baudelaire (1821-1867)
L'irréparable
Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s'agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chêne la chenille ?
Pouvons-nous étouffer l'implacable Remords ?
Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane,
Noierons-nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi ?
Dans quel philtre ? dans quel vin ? dans quelle tisane ?
Dis-le, belle sorcière, oh ! dis, si tu le sais,
A cet esprit comblé d'angoisse
Et pareil au mourant qu'écrasent les blessés,
Que le sabot du cheval froisse,
Dis-le, belle sorcière, oh ! dis, si tu le sais,
A cet agonisant que le loup déjà flaire
Et que surveille le corbeau,
A ce soldat brisé, s'il faut qu'il désespère
D'avoir sa croix et son tombeau ;
Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire !
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ?
Peut-on déchirer des ténèbres
Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,
Sans astres, sans éclairs funèbres ?
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ?
L'Espérance qui brille aux carreaux de l'Auberge
Est soufflée, est morte à jamais !
Sans lune et sans rayons, trouver où l'on héberge
Les martyrs d'un chemin mauvais !
Le Diable a tout éteint aux carreaux de l'Auberge !
Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ?
Dis, connais-tu l'irrémissible ?
Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés,
A qui notre coeur sert de cible ?
Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ?
L'Irréparable ronge avec sa dent maudite
Notre âme, piteux monument,
Et souvent il attaque, ainsi que le termite,
Par la base le bâtiment.
L'Irréparable ronge avec sa dent maudite !
J'ai vu parfois, au fond d'un théâtre banal
Qu'enflammait l'orchestre sonore,
Une fée allumer dans un ciel infernal
Une miraculeuse aurore ;
J'ai vu parfois au fond d'un théâtre banal
Un être, qui n'était que lumière, or et gaze,
Terrasser l'énorme Satan ;
Mais mon coeur, que jamais ne visite l'extase,
Est un théâtre où l'on attend
Toujours, toujours en vain, l'Être aux ailes de gaze !
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.
Nous marchions, sans parler, dans l’humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par des loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. Ni le bois ni la plaine
Ne poussaient un soupir dans les airs ; seulement
La girouette en deuil criait au firmament,
Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,
N’effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d’en bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s’étaient mis en quête
A regardé le sable, attendant, à genoux,
Qu’une étoile jetât quelque lueur sur nous ;
Puis, tout bas, a juré que ces marques récentes
Annonçaient la démarche et les griffes puissantes
De deux grands Loups-cerviers et de deux Louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions, pas à pas, en écartant les branches.
Trois s’arrêtent, et moi, cherchant ce qu’ils voyaient,
J’aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au-delà quelques formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit, sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
L’allure était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du Loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu’à deux pas, ne dormant qu’à demi,
Se couche dans ses murs l’homme, leur ennemi.
Le Père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa Louve reposait comme celle de marbre
Qu’adoraient les Romains, et dont les flancs velus
Couvaient les Demi-Dieux Remus et Romulus.
Le Loup vient et s’assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu’au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
II
J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre
À poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l’attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux, la belle et sombre veuve
Ne l’eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
À ne jamais entrer dans le pacte des villes,
Que l’homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
III
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes,
Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C’est vous qui le savez, sublimes animaux !
À voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse,
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au coeur.
Il disait : « Si tu peux, fais que ton âme arrive,
À force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »
Ecouter sur DEEZER
Interprétation : Barbara Hendricks
Composition : Franz Liszt
Victor Hugo - (1802-1883)
Oh ! quand je dors
Oh ! quand je dors, viens auprès de ma couche,
Comme à Pétrarque apparaissait Laura,
Et qu'en passant ton haleine me touche... -
Soudain ma bouche
S'entr'ouvrira !
Sur mon front morne où peut-être s'achève
Un songe noir qui trop longtemps dura,
Que ton regard comme un astre se lève... -
Soudain mon rêve
Rayonnera !
Puis sur ma lèvre où voltige une flamme,
Eclair d'amour que Dieu même épura,
Pose un baiser, et d'ange deviens femme... -
Soudain mon âme
S'éveillera !
Ecouter sur DEEZER
Interprétation : Chanson Plus Bifluorée
Composition : Sylvain Richardot
Victor Hugo - (1802-1883)
Ecrit après la visite d'un bagne
Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne.
Quatrevingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l'école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d'une croix.
C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime.
L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme.
Où rampe la raison, l'honnêteté périt.
Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l'âme en liberté se meut.
L'école est sanctuaire autant que la chapelle.
L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur
S'éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre.
La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat.
Faute d'enseignement, on jette dans l'état
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
Allumons les esprits, c'est notre loi première,
Et du suif le plus vil faisons une lumière.
L'intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d'éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l'école en or change le cuivre,
Tandis que l'ignorance en plomb transforme l'or.
Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu'ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu'ils étaient l'homme et qu'on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n'est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s'éclairer du flambeau qu'on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme :
Et la société leur a volé leur âme.
Point n’ai fait un tas d’océans
Comme les Messieurs d’Orléans,
Ulysse à vapeur en quête…
Ni l’Archipel en capitan ;
Ni le Transatlantique autant
Qu’une chanteuse d’opérette.
Mais il fut flottant, mon berceau,
Fait comme le nid de l’oiseau
Qui couve ses œufs sur la houle…
Mon lit d’amour fut un hamac :
Et, pour tantôt, j’espère un sac
Lesté d’un bon caillou qui coule.
Marin, je sens mon matelot
Comme le bonhomme Callot
Sentait son illustre bonhomme…
Va, bonhomme de mer mal fait !
Va, Muse à la voix de rogomme !
Va, Chef-d’œuvre de cabaret !
Mort de Jules César, Vincenzo Camuccini, Naples, Museo di Capodimonte.
Villon fait parler "Fortune" (à traduire en langage moderne par "Destinée")
Ecouter sur DEEZER
Chanté par Chris Papin
sur une musique de Serge Renard
François Villon - (1431-1463?)
Ballade au nom de la fortune
Fortune fus par clercs jadis nommée,
Que toi, François, crie et nomme murtrière,
Qui n’es homme d’aucune renommée.
Meilleur que toi fais user en plâtrière,
Par pauvreté, et fouir en carrière ;
S’à honte vis, te dois-tu doncques plaindre ?
Tu n’es pas seul ; si ne te dois complaindre.
Regarde et vois de mes faits de jadis,
Maints vaillants homs par moi morts et roidis ;
Et n’es, ce sais, envers eux un souillon.
Apaise-toi, et mets fin en tes dits.
Par mon conseil prends tout en gré, Villon !
Contre grands rois me suis bien animée,
Le temps qui est passé ça en arrière :
Priam occis et toute son armée,
Ne lui valut tour, donjon ne barrière ;
Et Hannibal demoura-il derrière ?
En Carthage par Mort le fis atteindre ;
Et Scipion l’Afriquan fis éteindre ;
Jules César au Sénat je vendis ;
En Egypte Pompée je perdis ;
En mer noyai Jason en un bouillon ;
Et une fois Rome et Romains ardis.
Par mon conseil prends tout en gré, Villon !
Alixandre, qui tant fit de hemée,
Qui voulut voir l’étoile poussinière,
Sa personne par moi fut envlimée ;
Alphasar roi, en champ, sur sa bannière
Rué jus mort. Cela est ma manière,
Ainsi l’a fait, ainsi le maintiendrai :
Autre cause ne raison n’en rendrai.
Holofernes l’idolâtre maudis,
Qu’occit Judith (et dormoit entandis !)
De son poignard, dedans son pavillon ;
Absalon, quoi ? en fuyant le pendis.
Par mon conseil prends tout en gré, Villon !
Pour ce, François, écoute que te dis :
Se rien pusse sans Dieu de Paradis,
A toi n’autre ne demourroit haillon,
Car, pour un mal, lors j’en feroie dix.
Par mon conseil prends tout en gré Villon !