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Christine de Pisan - (1364-1430)
Ditié de Jehanne d'Arc
Ecrit en 1429 du vivant de Jeanne
Je, Christine, qui ay plouré
Unze ans en abbaye close
Où j'ay toujours puis demeuré
Que Charles (c'est estrange chose !),
Le filz du roy, se dire l'ose,
S'en fouy de Paris, de tire,
Par la traïson là enclose :
Ore à prime me prens à rire.
A rire bonement de joie
Me prens pour le temps, por vernage
Qui se départ, où je souloie
Me tenir tristement en cage
Mais or changeray mon langage
De pleur en chant, quant recouvré
Ay bon temps...
Bien me part avoir enduré.
Par tel miracle vrayement
Que, se la chose n'est notoire
Et évident quoy et comment,
Il n'est homs qui le peust croire ?
Chose est bien digne de mémoire
Que Dieu, par une vierge tendre,
Ait adès voulu (chose est voire)
Sur France si grant grace estendre
Car Merlin, et Sibylle et Bede,
Plus de cinq cens ans la virent
En esperit, et pour remède
A France en leurs escriptz la mirent;
Et leurs prophécies en firent,
Disans qu'el pourterait banniere
Es guerres françoises; et dirent
De son fait toute la manière.
Une fillette de seize ans
(N'est-ce pas chose hors nature ?)
A qui armes ne sont pesans,
Ains semble que sa norriture
Y soit, tant y est fort dure;
Et devant elle vont fuyant
Les ennemis, ne nul n'y dure.
Elle fait ce, mains yeulx voyant.
Et d'eulx va France descombrant,
En recouvrant chasteaulx et villes,
Jamais force ne fu si grant,
Soient à cens, soient à miles.
Et de nos gens preuz et abiles
Elle est principal chevetaine.
Tel force n'ot Hector, ne Achilles;
Mais tout ce fait Dieu qui la menne.
Si rabaissez, Anglois, vos cornes,
Car jamais n'aurez beau gibier
En France, ne menez vos sornes
Matez estes en l'eschiquier,
Vous ne pensiez pas l'autrier
Où tant vous monstriez perilleux;
Mais n'estiez encour ou sentier
Où Dieu abat les orgueilleux.
Jà cuidiés France avoir gaingnée,
Et qu'elle vous deust demourer.
Autrement va, faulse mesgniee!
Vous ires ailleurs tabourer,
Se ne voulez assavourer
La mort, comme vos compaignons,
Que loups porroient bien devourer,
Car mors gisent par les sillons.
Si pry Dieu qu'il mecte en courage
A vous tous qu'ainsi le fassiez,
Afin que le conseil o rage
De ces guerres soit effaciez,
Et que vostre vie passiez
En paix sous votre chief greigneur,
Si que jamais ne l'effaciez
Et que vers vous soit bien seigneur.
Amen.
Donné ce ditié par Christine,
L'an dessusdit mil quatre cens
Et vingt et neuf, le jour où fine
Le mois de juillet. Mais j'entends
Qu'aucuns se tendront mal contens
De ce qu'il contient, car qui chière
A embrunche les yeux pesans,
Ne peut regarder la lumière.
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