Ecouter sur DEEZER Interprété par Jacques Douai sur une musique de Léo Ferré |
René Baer (1887-1962)
La Chambre
On m'a prêté quatre vieux murs
Pour y loger mes quatre membres
Et, dans ce réduit très obscur,
Je voulus installer ma chambre.
Pour lui donner un air coquet
Je suspendis aux murs en pente
Les diplômes que j'ai manqués
Et mes décorations absentes.
Sur une table, les photos
De celles qui se refusèrent.
Sur des rayons, les in quarto
Des livres que je n'ai su faire.
J'ai mis derrière les fagots
Les grands crus de notre royaume,
Les Chambertins et les Margaux
Dont j'ignore jusqu'à l'arôme
Et dans un vaste coffre-fort,
Rangés en piles régulières,
Toutes les valeurs et tout l'or
Que j'aurais pu gagner naguère!
Par la fenêtre se glissant,
Voici qu'un doux rayon bleuâtre
Est venu remplir mon théâtre
D'un mobilier étourdissant:
Voici des tapis d'ambition,
Voici des tentures de rêve,
Voici qu'un rideau se soulève
Sur un chevalet d'illusion.
Voici des coussins de serments
Couvrant des fauteuils de promesses
Et puis des colliers de tendresse
Et des bouquets de sentiments.
Voici le mirage de l'Art.
Voici des songes en rasades,
Le divan de Shéhérazade
Et le clavecin de Mozart,
La chimère en quatre secondes,
Décorateur sur champ d'azur,
A fait de mes quatre vieux murs
La plus belle chambre du monde!
Du même auteur : Chanson du scaphandrier